Été

Publié le 18.08.2016

Cher journal,

Fini l’été ! Tu pourrais t’étonner de cette phrase. Par culture astronomique, tu m’opposerais que la balance de la lumière oscille encore, et n’est pas prête à atteindre son équinoxe de septembre. Ou par simple observation personnelle - quelque forme que tu prennes, cher journal, que le cuir de ta reliure te brûle ou que tu sentes les efforts d’un système de ventilation pour empêcher la surchauffe des petites unités électriques qui stockent le moindre caractère qui te compose, tu sais quand il fait chaud, et tu me dirais que la belle saison dure encore. Ou peut-être, blasé à force de me servir de confident plus ou moins volontaire, tu ne t’étonnerais pas de mon propos. Tu as peut-être déjà remarqué que souvent sous nos latitudes, passé le 15 août, nombreux sont les gens qui se sentent déjà en automne; et Rt. Hon. me disait l’autre jour que dès son enfance, elle sentait cette date préparer en éclaireur les jours de rentrée, et la gaieté des vacances s’amenuisait peu à peu comme on avançait sur le jeu de l’oie du calendrier.

Mais ce n’est ni l’astronomie, ni le climat, ni la psychologie collective qui m’amènent à ce constat. Toutes mes pensées de ces derniers mois, qui avaient mûries et poussées et doraient commencent à se fâner ou à perdre leurs feuilles; je les aurais cru protégées par la serre de mes fontanelles immuables. Déjà j’ai du mal à comprendre pourquoi je me prenais d’un tel intérêt pour tel ou tel sujet sur lequel j’ai lu et j’ai accumulé nombre de réflexions; je trouve des livres dans ma bibliothèque sans comprendre comment j’ai pu les acheter ou les voler; et deux ou trois principes récupérés à la faveur d’une anecdote, à côtés desquels devaient bien se trouver collé, comme un parasite, une moisson de résolutions, tous ceux là commencent à encombrer et disparaître. Mes idées changent, et j’entre à nouveau dans un de ces moments où je ne suis sûr de rien - moments, où, souvent, il me devient plus difficile de t’écrire, mais parfois, le doute est plus fertile, alors même de cela je ne peux être sûr.

Même si je me fais souvent reproche de mon inconstance, je ne m’inquiète pas trop de ces saisons intérieures. Au contraire; j’ai trop consacré de temps à vouloir faire le ménage de mon cerveau volontairement, et je suis heureux à présent de voir que sans effort, les vieilles lunes décroissent d’elles-mêmes. Sans doute, dans le lot de ce qui disparaît déjà je pourrais pointer du doigt quelques idées que je voudrais retenir; mais si elles tombent et meurent, j’espère toujours que de leurs restes en germeront de meilleures. Ne demeurera que ce qui a résisté envers et contre tout - et tant pis si ce sont de mauvaises herbes.

Il y a un mois, je ne te regardais plus du même oeil et je me demandais s’il ne fallait pas t’offrir un enterrement. Je connais des façons moins contraignantes d’affabuler. Et notre relation me paraît parfois un peu exclusive - je finis parfois par ne plus écrire qu’ici, sauf à compter les notes obligatoires auxquelles me contraignent le travail et la politesse. Pourtant, malgré ces idées noires à ton sujet, je ne me crois pas prêt à t’abandonner. Voilà donc une forme d’idée qui résiste. Car l’automne de l’esprit, qui tue de façon indistincte et cruelle, ignore d’une année l’autre certaines pousses, pour des raisons assez confuses. Du reste, certaines idées procèdent comme les oiseaux migratoires, et si elles s’absentent un moment, on devine déjà qu’elles reviendront.

Parfois on prend un verre avec des personnes que l’on estime, on se trouve à la terrasse d’un café ou dans un autre de ces endroits agréables où l’on pourrait rester des heures; et soudain, avant qu’il ne soit trop tard sans doute, l’autre claque la langue et, tapant sur ses genoux ou se retournant pour récupérer une veste posée sur le dossier de sa chaise, propose d’un air plein d’énergie : “On y va ?”. Cette familiarité un peu brusque, qui peut d’ailleurs souvent vexer, me paraît pourtant la plus sage. Mais peut-être vaut-il mieux procéder la sorte avec soi-même et le cours de ses pensées, plutôt qu’avec les autres - sauf s’ils appartiennent à l’espèce délicieuse qui aime la solitude et l’attente de l’hiver.

Entrée suivante Entrée précédente