Rage

Publié le 12.05.2017

Cher journal,

Une épidémie de rage sévit en ce moment, et les informations, toujours précieuses, nous indiquent qu’il faut plus que jamais éviter de marcher sur la queue des chiens. Les propriétaires de chats triomphent et certains vont même, de porte en porte, faire la leçon pour dire que nous n’en serions pas là si nous les avions écouté. Quand on leur fait remarquer les marques de griffures sur leur bras, ils haussent les épaules et repartent en faisant le dos rond. Les vétérinaire se veulent rassurant, tout cela n’est pas bien grave et puis, au pire, il suffit de piquer les victimes. Pour ma part, ma viande n’est plus assez fraîche pour tenter le moindre animal; à vrai dire, je coule des jours plutôt heureux, les rues sont vides, les métros déserts et on ne fait plus guère la queue nulle part. L’autre jour, un chauffeur de taxi est sorti de sa voiture en plein milieu de la route, en courant; je lui ai demandé quelle mouche le piquait, il m’a crié qu’il en avait plus qu’assez, et que je pouvais prendre sa voiture si le coeur m’en disait. Je me suis mis au volant, et j’ai démarré, coursé par des terriers; mais même malades, les animaux sont fort bien élevés, et ils s’arrêtaient à tous les feux rouges.

Malheureusement, ma voiture attire les clients, et je suis trop timide pour les refuser. L’autre jour, un vieux couple a passé le trajet à me parler des chiens de leur enfance; mais je ne suis pas le mieux placé pour blâmer les gens qui racontent leur souvenir. Un étranger m’a dit que jamais, dans son pays, on laisserait se produire pareille pagaille; un autre, au contraire, se réjouissait de voir qu’on savait, sous nos latitudes, terrasser l’ennui. Un derviche m’a parlé de ses rêves prémonitoires; tout cela va bientôt s’arrêter, assurait-il; des crues prodigieuses vont emporter par les eaux toutes ces bêtes, et, c’est regrettable mais c’est ainsi, la majorité des habitants avec elles, nettoyant ainsi la cité. En me payant, il m’a dit de tout dépenser au plus vite. Je suis allé tout boire, et dans la nuit, la voiture a rencontré un poteau - autant abandonner là ce début de carrière. Pendant que je rentrais à pied, j’ai fait la rencontre d’un apprenti joueur de flûte, mais sa musique n’adoucissait pas les moeurs des chiens; ils l’ont mangé, lui et son instrument. J’ai joué à envoyer le pipeau pour qu’ils le rattrapent, plusieurs fois, et puis je me suis lassé.

Les gens s’énervent pour un rien; des groupes se sont formés, qui tuent les pauvres bêtes à coup de pierre. Il ne doit plus en rester beaucoup, à présent. Les journaux et les écoliers se demandent si nous avons bien agi, mais on les fait taire. Dans les cafés, certains patrons proscrivent le sujet; ils foutent à la porte, sans manières, les gens qui discutent des événements. D’autres allument des cierges en mémoire de leur familier perdu et ils avancent dans des processions solitaires, mais des plaisantins les soufflent sur leur passage. L’ambiance n’est pas très bonne, mais ça passera; le problème, ce sont tous ces militaires qu’il faut faire passer récupérer les carcasses dans les rues et achever ceux qui se cachent encore dans les égoûts; cette corvée finira bien et ce seront les beaux jours. D’ici là, on a fermé la fourrière.

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