Paquet

Publié le 15.12.2017

Cher journal,

À cause d’une invitation à des agapes obligatoires, dont le détail serait trop fastidieux pour que j’en rende compte ici, je me trouve hier à devoir emballer précipitamment un cadeau. Je n’ai jamais eu le goût des exercices qui exigent une certaine application manuelle, et tandis que je procède du mieux que je peux, Rt. Hon. me regarde faire en riant. Quand je replie la dernière paroie, qui ne tient que par une application généreuse de papier adhésif, on croirait que mon paquet ne contient que des abats de boucherie. Je hausse les épaules, tandis que Rt. Hon. dénonce mon manque de soins. Je me défends du mieux que je peux, mais je suis pris en flagrant délit et les faits sont contre moi.

Elle m’exprime alors son admiration pour les vendeurs de magasins, qui à cette période de l’année en particulier, doivent en une petite minute empaqueter à la perfection et en quelques gestes sûrs et précis les objets les plus divers. Sans doute doivent-ils recevoir un cours spécifique à cet effet, puis l’entraînement leur permet d’atteindre la perfection. Mais, fait-elle observer, ils agissent toujours avec une certaine hauteur. Est-ce parce que parfois, on croirait qu’on les met au défi de trouver la solution géométrique à un objet dont la multiplicité d’angle semble défier tout effort d’emmaillotage ? Probablement pas - nous discutons du préposé aux paquets cadeaux d’une librairie voisine, qui prend un air de supériorité dès qu’on lui remet le moindre livre, aux dimensions toujours plus ou moins similaires, entre les mains - dans le monde de la librairie, où le sens commercial le plus élémentaire dote les vendeurs d’un art de la neutralité qui ferait des fortunes aux poker, car ils ne trahissent jamais le moindre jugement quand on leur tend le livre qu’on veut lire - pourtant, que la tentation doit être grande parfois !

Je ne me souviens pas qui d’elle ou moi trouve l’explication la plus probable: celui qui demande à faire emballer le cadeau trahit son incompétence en la matière; ou encore son manque d’attention au destinataire, pour lequel il ne prend pas le soin de procéder lui-même aux efforts de présentation. Son incurie ou son ignorance le met à la merci de mains plus expertes, on en profite pour le lui faire sentir. Je proteste malgré tout à cette explication fort sévère, mais en mon fort intérieur uniquement, car je suis décrédibilisé auprès de Rt. Hon. par mes piteux efforts de tout à l’heure. Je connais quelqu’un qui surenchérit sur ce marché de la faute, puisqu’il achète ses livres dans une boutique et les fait emballer dans une autre - mais je ne sais plus la raison exacte, était-il trop distrait pour le demander dans la première boutique ?, ou estime-t-il que la seconde fait de bien meilleurs paquets, ce qui serait, à sa manière, une étrange manifestation d’élégance ? Ou peut-être enfin aime-t-il le défi que cela représente pour lui de convaincre le vendeur d’emballer la marchandise d’un autre - une manière pour mon ami de montrer que s’il n’est guère habile de ses mains, quand il s’agit d’humain que l’on veut mettre en boîte, il n’a pas de rival.

La nuit même j’ai rêvé d’un enfer qui punissait ceux qui ne montrent pas assez de soin pour faire les paquets cadeaux; ils sont saisis par la peau du cou, comme font les chattes avec les jeunes de leur espèce, mais cette fois-ci, en tirant si fort jusqu’à retirer la peau entière. Le damné se tient les organes tant bien que mal, on le balance dans une cabine d’essayage, où il doit remettre sa peau, mais tout lui glisse entre les mains; il ne sait pas découper les morceaux en trop, envelopper et fripper correctement l’alentour des coudes et des rotules, et ne comprend pas pourquoi il a soudain de la corne sur le visage. Après une heure, on vient le chercher tandis qu’il contemple au désespoir son propre cuir mal remis, boursouflé, qui par endroit manque et par endroit déborde; on le force à marcher comme sur la plateforme d’un défilé de mode, spectacle exutoire pour un public composé de saints, la foule de ceux qui ont fait les paquets des autres.

Entrée suivante Entrée précédente