Inoculation

Publié le 17.08.2021

Cher journal,

Les salles d’attente font de leur mieux, mais elles ne peuvent dissiper totalement les angoisses de ceux qui les occupent. Le son des instruments du dentiste, par exemple, suffit à ruiner le décor apaisant, les aquarelles de paysages exotiques, les invitations diverses à la rêverie sur la table basse ou le papier peint presque hypnotique au mur. Pourtant, cette fois, nulle grande cause d’inquiétude - un tout autre cabinet, où je venais pour une simple injection. Je n’ai plus peur des piqûres. Pourtant, à peine installé, je me demandais soudain combien de gens étaient venus ici pour apprendre la nouvelle de leur condamnation à mort; et parmi ce nombre, combien déjà ne reviendraient plus. Je ne sais pas pourquoi mon esprit nourrissait des pensées aussi lugubres - sinon par le seul pouvoir du lieu où je me trouvais.

Le parti-pris pour cette salle précise me semblait être le style contemporain: de grandes poutres métalliques laissées apparentes et des murs soigneusement blanchis. Deux bibliothèques tentaient tant bien que mal de compenser la froideur générale de l’ensemble. Malheureusement, toutes ces tentatives pour apaiser les occupants toujours passagers de la pièce se voyaient quelque peu ruinées par les mesures sanitaires: un panonceau indiquait de ne surtout pas toucher les livres, et un un gros morceau de ruban adhésif condamnait un recoin creusé dans le mur et destiné aux enfants. J’ai passé trop de temps ces dernières semaines dans des salles d’attente; elles me rendent plus nerveux encore qu’à l’ordinaire. J’en ai vu de toutes sortes, dont une bien exiguë rangée tout au fond du couloir d’un hôpital, où je me suis donné en spectacle auprès de l’autre personne qui se trouvait là et devait se demander, non sans quelque inquiétude, pourquoi je semblais aussi effondré.

Mais je reviens à celle d’aujourd’hui, où je n’aurais pas dû me trouver à vrai dire; j’empiétais sur une autre consultation, juste pour recevoir un vaccin - pas le vaccin dont tout le monde parle, celui-là est déjà dans ma collection, mais un autre, lui aussi déjà connu de mon métabolisme, mais il y a si longtemps que l’on craint qu’il en ait oublié les leçons. L’affaire a duré une minute tout au plus. L’injection effectuée, elle m’a plaqué sur le bras un pansement criard - “c’est pour les enfants”, offrit-elle comme explication. Je ressortai, le bras à peine endolori, essayant de me souvenir pourquoi à une certaine époque j’ai eu peur des seringues, et comment cela ne m’affecte plus du tout à présent. Je ne prétend pas être autre chose que douillet et couard, et pourtant, il y a quelques terreurs comme celles-ci que je ne ressens plus. Souvent, je m’en aperçois le moment-même. “Tiens, je n’ai plus peur”, me dis-je alors - et je retiens la date, le moment précis où j’ai recouvert un peu de liberté sur les craintes infondées de mon esprit. Mes phobies se portent le plus souvent sur des endroits précis: une cage d’escalier en particulier, un pont à tel endroit, cet arbre à moitié couché le long d’une avenue. Un jour, je passe par là, et je ne ressens plus rien, comme si tous mes nerfs venaient de subir une anesthésie (ah, voici du reste une phobie qui ne m’a pas quitté, un jour, on m’endormira et je ne me réveillerai plus). Je sais alors que j’ai vaincu une peur, et qu’elle ne reviendra jamais.

Cela fonctionne aussi pour les angoisses plus usuelles - je me souviens encore, par exemple, du moment où j’ai arrêté d’avoir peur de l’obscurité - parce qu’il y avait des choses bien plus graves à ce moment et qu’avoir peur du noir paraissait presque mesquin en comparaison. Je n’aime pas observer en revanche que j’ai perdu même quelque chose dont on voudrait se débarrasser, sans me souvenir quand ou comment exactement. C’est absurde - je n’ai aucun mérite, lorsque certains affrontent leur peur, je me contente d’attendre qu’elles disparaissent d’elles-même, que m’importe de savoir le moment exact ? Sinon pour me donner l’impression que j’ai eu un rôle à jouer dans toute cette affaire.

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