Promenades

Publié le 17.05.2014

Cher journal,

Ce pays a très mauvaise réputation en France, mais il faut reconnaître que ses habitants nous le rendent bien. Pour ma part, je dois reconnaître y avoir toujours été curieusement attaché ; non pour les délices qu’il offre uniquement à l’émigré, et qui y entretiennent du reste une farouche xénophobie, mais parce que mes souvenirs y reviennent souvent, particulièrement pour les promenades d’après-midi que nous y faisions en vacances, que je détestais alors passionnément et que, bien sûr, je regrette aujourd’hui avec autant de feu. Au cours d’une de ces randonnées je respirais pour la première fois une plante dont j’ignore le nom, qui émet un parfum proche du lait caillé, et qui a sur moi un pouvoir hypnotique. J’en trouve l’odeur repoussante, mais je suis incapable de m’en éloigner.

C’est aussi dans ce pays que j’ai connu les repas les plus étranges, non pour des raisons gastronomiques, mais parce que nous étions les hôtes de convives tonitruants. Dans les deux cas, deux vieux hommes dont la tête rubiconde épousait curieusement de beaux cheveux tout blancs, le ventre arrondi, menant la conversation comme d’autres chassent à courre. Le premier avait la manie de ponctuer tout début de description par la formule « etceteri, etcetera », tic qui provoquait en nous une furieuse envie de rire et qu’il nous fallait réprimer à tout prix pour ne pas risquer de le vexer.

Juste derrière leur parlement, un petit promontoire est peuplé de jeux d’échecs. Sur les flancs de l’espèce d’éminence, qui mérite si peu ce nom, où est posé le bâtiment, à quelques mètres à peine du lieu où les lois sont passées, on trouve des potagers. De l’autre côté, une petite place où en face même du bâtiment, se tenait jusqu’à peu, peut-être encore aujourd’hui, une boutique Harley-Davidson. Rien n’est plus loin de notre palais Bourbon, qui n’a de comparable que le fait de dominer un cours d’eau, mais qu’est-ce que la grisaille métallique de la Seine, face au vert shamrock de l’affluent qui traverse cette étrange ville, capitale privée de ce titre ?

En me promenant de ce côté, avec Rt. Hon., nous avions dû traverser une manifestation d’agriculteurs. L’un d’entre eux nous expliqua longuement les raisons de son mécontentement. Je l’écoutais impatiemment, découvrant que tous les cultivateurs d’Europe appartiennent au fond à une même nation de râleurs au demeurant parfois sympathiques. Il nous fit goûter son vin blanc. Je le trouvais assez infect, mais l’assurais bien sûr du contraire. Nous pûmes garder les verres en souvenir. Ils étaient ornés d’un de ces blasons qu’un amour national pour l’héraldique semble vouloir placer partout. Malheureusement, quelques mois seulement après, comme tous verres à vins qui passent entre les mains de notre couple de maladroits, nous les avons cassés (et si ma mémoire n’a pas trop bien arrangé les choses, je crois, de façon on ne peut plus paritaire).

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