Hibernation

Publié le 16.05.2014

Cher journal,

Privé depuis quelques jours de mon honorable amie, que le destin, la famille ou le devoir ont appelé loin d’ici, je me retrouve en quelque sorte à hiberner. Je n’ai jamais eu la fibre mondaine, et la solitude me pèse rarement. Mais ne pas l’avoir près de moi, ou à portée d’une journée, me prive à peu près de tout plaisir : si je lis quelque chose d’important ou de bien tourné, je ne pourrais pas le lui dire ; si j’entends une sottise dont je sais que nous pourrions rire, elle sera dépourvue d’intérêt lorsque nous nous reverrons. Et plus encore, j’ai peur de nos retrouvailles mêmes car, si par bonheur elle les attend avec autant d’impatience que moi-même, je ne peux que décevoir une telle attente. Comme on ne peut pas fonctionner correctement avec de telles pensées ou de tels sentiments, un mécanisme d’auto-défense me transforme peu à peu et je me mets à ne plus vivre que de façon automatique. Lorsque mon honorable amie n’est pas là, la vie quotidienne n’est jamais qu’une pratique dépourvue de foi. Aussi me pardonnera-t-on peut-être cet excès d’animisme et cette bizarrerie théologique si je pense qu’elle est, dans le sens le plus religieux du terme, ma grâce elle-même.

Cela sans doute la ferait sourire, puisqu’elle me voit surtout comme une créature d’habitude et qu’elle ne verrait peut-être pas la différence. Mais les habitudes n’en sont pas vraiment quand elle est près de moi ; à quoi bon, l’aventure, quand la même action, cent fois renouvelée, est toujours différente ? Mais c’est un rapport bien injuste puisque pour moi-même, je crains d’être un peu toujours le même en toute circonstance. L’ironie veut que ce soit au moment où je suis dégoûté de mes habitudes, quand elles n’ont plus le charme particulier que seule sa présence peut leur prêter, qu’elle ne peut me voir sortir de ma partition.

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