Autographe

Publié le 08.12.2014

Cher journal,

Ces dernières semaines, une série d’événements m’a amené à devoir signer quantité de papiers, ce qui ne m’est d’ordinaire guère agréable. Je n’ai jamais aimé signer. D’abord, je peux te l’avouer, mon rapport aux paraphes en tout genre relève sans doute de la psychanayse; je n’ai jamais considéré l’espèce de gribouillage rapide et fluctuant, seule production à laquelle consent ma main lorsqu’elle doit se presser au bas d’un papier, comme une authentique signature, celles que peuvent aposer les grandes personnes. La mienne semble toujours imiter un modèle idéal et en fin de compte naître d’un faussaire.

Pourtant, et voici que je dois livrer un nouveau paradoxe, ma signature ne vient pas d’une profonde réflexion, d’un long exercice ou d’une recherche compliquée ; au contraire, je crois l’avoir découverte un jour de la façon la plus naturelle qu’on puisse imaginer, donnant libre cours à mes musces, m’efforçant simplement de bien tenir mon stylo, exercice qui exige une telle concentration de ma part que je ne peux plus réfléchir à ce que je dois écrire - toujours, je voudrais saisir toute espèce de plume comme un marteau, au grand désespoir de mes maîtres divers; la prise habituelle, par triple pression du pouce, de l’index et du majeur, ne semble pas vouloir entrer dans mon inconscient.

Un jour, un graphologue amateur, au demeurant mythomane à l’excès, ayant vu le dessin de mes initiales, entreprit de les analyser impitoyablement. Je ne sais plus très bien quels vices cachés il affirmait pouvoir déceler rien qu’en observant mon tracé, mais à l’entendre, je devais à tout prix modifier ma façon de faire, adopter à tout le moins un style plus agressif, plus ample. Lui-même, du reste, signait par un arabesque simplifié s’étalant sur tout le papier, un trait volumineux, comme une espèce de barque venant transporter les lettres, soulignant le tout.

Depuis, j’aime encore moins signer; mais je suppose que je m’invente un prétexte pour cacher mon aversion réelle, les contrats en tout genre. Ou peut-être contrats et signatures relèvent de la même espèce, de cette tentative un peu dérisoire de capturer l’essence de quelque chose dans une enveloppe bien trop étroite à cette fin.

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