Conviction

Publié le 03.04.2015

Hyperborée

Cher journal,

Plusieurs astronomes m’ayant claqué la porte au nez, je vins tenter ma chance auprès de l’un des plus aventureux du milieu, un vieil astronome prénommé Papillon. Plusieurs échecs spectaculaires en faisaient un paria désormais prêt à tout pour trouver des occasions d’améliorer sa réputation. J’espérais le convaincre qu’une petite excursion en mer serait pour lui l’occasion idéale de trouver la nouvelle hypothèse qui en ferait la coqueluche de la science hyperboréenne.

Je dois ici préciser que les normes hygiéniques de l’époque ne ressemblaient en rien à celle des siècles futurs; la société de ce temps ne connaissait aucun principe en la matière. On s’imagine aisément les civilisations perdues comme des perles immaculées, mais la réalité ne ressemble guère à cette image. Papillon, à ce titre, poussait tout de même l’absence de normes très loin et j’ai rarement eu l’occasion de rencontrer quelqu’un de plus répugnant. Pendant qu’il parlait, on pouvait difficilement se retenir d’essayer de compter les énormes poux qui habitaient sa barbe.

A peine lui avais-je proposé de rejoindre mon équipage qu’il fit un geste méprisant. Je m’attendais à ce qu’à son tour, il m’expulsa de chez lui. Mais il n’en fit rien. S’emparant d’un gobelet qui, à force d’absence de soin, était enduit d’une gomme violacée, il me versa un verre d’eau-de-vie, et commença à m’expliquer que ma démarche partait d’un bon sentiment. L’avancement de la connaissance par un petit voyage représentait bien sûr un protocole expérimental aussi utile que plaisant dont il reconnaissait bien sûr les mérites. Mais le plus important restait de choisir une destination qui méritait le détour, et qui puisse enrichir l’ensemble de la société, au service d’une recherche noble et reconnue par tous. Qu’importait, à bien y réfléchir, l’étude de la dérive des continents ? Y avait-il, en la matière, la moindre urgence ? Pendant que Papillon discourrait ainsi, je fermais les yeux, pour ne pas être tenté d’examiner ses parasites ou ceux qui devaient grouiller dans mon verre. Malheureusement, le même mécanisme qui commandait mes paupières apparut agir simultanément sur mes oreilles, de telle sorte que je finis par arrêter de l’écouter. Aussi, lorsque, par politesse, je fournissais à la conversation une espèce de “oui, oui” hypocrite, pour montrer que je continuais à l’écouter, je fus très étonné de le voir surexcité et me combler de remerciements.

Tu auras compris, cher journal, que je venais bien malgré moi d’accepter de partir sur la première Lune - celle qui existe encore - pour aller étudier la mystérieuse dissipation progressive de la seconde. Pire encore, au lieu de nous y conduire par un projectile quelconque, Papillon avait voulu faire d’une pierre deux coups et démontrer une de ses théories favorites sur les possibilités offertes par l’Ether en matière de voyage spacial.

Toutes les sciences et toutes les magies connaissent leurs modes; de même qu’il y eut une passion de la radioactivité, la folie hyperboréenne du moment se concentrait sur une découverte récent : l’Ether. Après avoir voulu en faire à tout prix une source d’énergie, puis un révélateur chimique, ou encore, sous sa forme solidifée par réfrigération, un accessoire vestimentaire, plusieurs savants décidèrent que l’Ether formait en réalité une dimension à part entière. Des expéditions furent lancées dans l’espoir de s’y faufiler et d’en percer à jour les mystères. Aucun pionnier n’en était revenu - mais je suis la preuve vivante qu’on peut traverser ces contrées et retrouver le plan d’existence où nous avons nos habitudes.

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