Sélénites

Publié le 07.04.2015

Hyperborée

Cher journal,

Passons sur la familiarité de la question - ou même sur le fait que son existence supposait l’existence d’une forme de vie consciente sur la Lune. Notre surprise vint d’abord - comme nous étions rationnalistes ! - de ce que des ondes acoustiques puissent traverser le vide et nous parvenir. Bref, nous sursautâmes, et fîmes un prompt demi-tour sur nous même pour identifier l’origine de cette impossibilité.

Devant nous se tenait un humanoïde à très grandes jambes, dans une combinaison sophistiquée qui donnait à nos scaphandres l’air particulièrement fruste. Derrière la visière, on distingait un visage frippé qui paraissait couvert d’une légère poudre dorée. Je ne parvenais pas à décider s’il s’agissait d’un maquillage décadent ou de la couleur de peau propre à l’espèce de notre vis-à-vis. Pour le reste, les organes semblaient similaire aux nôtres; deux yeux, par ailleurs formidablement cataractés, un nez, une bouche. Celle-ci s’agita et nous vîmes surgir du scaphandre une forme cônique qui fournissait sans doute un chemin pour le son, nous permettant d’entendre une seconde phrase : “Ah, des hyperboréens, je parie ! Tout va bien chez vous ?” - celle-ci sur un ton nettement plus civil que la première. J’essayais de répondre, mais ne disposant pas des gadgets de mon interlocuteur, je restais condamné au silence. Notre visiteur - ou plutôt notre hôte - compris rapidement le problème et nous invita à le suivre dans son logement, où, nous assurait-il, nous pourrions discuter à notre aise.

Nous marchâmes une dizaine de minute, puis, ayant atteint une anfractuosité dans le sol, nous faufilâmes dans une caverne au milieu de laquelle trônait une espèce de bungalow, dont la matière inconnue semblait à la fois le fruit d’une merveille de technologie et en même temps l’un de ces produits finis de piètre qualité avec lesquels une civilisation fabrique ses diverses camelotes. J’appréciais la courtoisie de notre guide qui nous laissât entrer les premiers.

L’intérieur de son gîte ne payait pas de mine. Un petit salon, un vague coin cuisine, un couloir d’où on devinait l’accès à une chambre et sans doute des lieux d’aisance. Dans le salon, un canapé et deux fauteuils, l’un d’entre eux du reste occupé par un deuxième extra-terrestre, qui nous regardait sans rien dire. On nous fît comprendre que nous pouvions enlever nos scaphandres, cette habitation fournissant tout ce qu’il nous fallait pour respirer à notre aise. Je m’empressais de les remercier, et m’aperçut alors que dans l’enclave du bungalow, mes sons pouvaient enfin se propager à leur convenance.

Les deux créatures étant elles-mêmes en tenue de ville, ou l’équivalent lunaire, je pouvais les examiner plus à mon aise. La couleur légèrement dorée de leur peau semblait provenir de l’accumulation de milliers de tâches de vieillesses. Pour le reste, à part une morphologie générale plus allongée que la nôtre, peu de chose les distingait des humains. Restait cependant un traît frappant, l’aspect complètement assexué de cette espèce. Nous nous installâmes, Palkrek et moi-même, sur le canapé. J’estimais qu’un peu de protocole s’imposait. “Nous nous excusons d’envahir ainsi votre maison… et votre lune, du reste…

- Oh, ce n’est rien !, vraiment ! Toujours heureux de recevoir, nous avons si peu de visite !” Je constatais que l’autre extra-terrestre, celui qui se trouvait dans la fauteuil à notre arrivée, ne disait rien, et semblait à vrai dire ne pas partager l’opinion de son comparse. “Mais vous semblez fort informé sur nous… vous avez déjà rencontré des hyperboréens ?

- Oh, bien sûr ! Un millier d’année sur deux, il y a toujours des terriens pour passer. Les derniers en dates venaient de là… avec ces énormes vestes métalliques, comme celle que vous portiez… j’en ai naturellement déduit que vous veniez du même coin…

- Mais vous même, alors… vous habitez la lune, comme ça ?”, demandais-je en essayant de donner un tour aussi banal que possible à ma question. Je ne pouvais pas prévoir la réaction de l’autre extra-terrestre qui, soudainement, agita les bras en l’air, et s’écria : “Ah, pitié, pitié, ne le lancez pas là-dessus !”

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