Lianes

Publié le 02.10.2019

Cher journal,

Devrais-je m’excuser de mon long silence ? Je ne te tiens que dans l’espoir de devenir meilleur, et j’ai employé le temps passé à ne pas te tenir précisément à cette fin. Peut-être sans succès; sans toi pour me forcer à tenir les comptes, comment savoir ? Je peux compter de la main ce que je crois être parvenu à faire, mais ma mémoire n’est pas si fidèle qu’elle retiendra tous mes échecs. Mais enfin, je ne devrais pas penser à toi en ces termes, et te transformer en mon confesseur - je crois même avoir déjà promis de ne pas le faire.

Je dois être devenu raisonnable sans m’en apercevoir, car voici trois fois, ces derniers mois, qu’on me demande de me porter garant ou responsable de la probité, des finances, et même de l’âme d’autrui. Je me garde bien d’écarquiller les yeux, et de prendre mon interlocuteur par le cou, en lui murmurant: “Mais enfin, vous commettez une folie, de me demander une chose pareille; je n’ai pas le sens commun, je suis incapable du moindre contrôle de moi-même, et malgré mes grands airs, je n’ai pas un liard à mon nom.” Au contraire, je remercie avec insistance, je me déclare honoré de cette marque de confiance, et j’appose plaisamment mon sceau là où on me le demande. La peur de décevoir ou de blesser me rend stupide au point d’accepter des engagements que je suis incapable de tenir; mais peut-être que les grands noms, que les figures les plus fiables, que les marques prestigieuses se sont à l’origine bâties sur ces sables mouvants ? Se pourrait-il que je sois enfin capable de courage ? Je n’ose l’espérer.

L’autre jour, je déambulais dans un magasin de plante. Un de ces individus qui m’imagine plus sage que je ne le suis m’entretenait sur les différences entre les plantes carnivores, et sur la façon dont les unes et les autres tuent leurs proies; certaines en fermant leurs mâchoires végétales, les autres par des pièges gluants. Je jugea prudent de m’éloigner un peu, et me retrouvai dans le rayon consacré au jardinage, face à face avec les gnomes. L’un d’eux, vague hybride entre champignon et folklore, portait un chapeau tombant qui lui cachait un oeil. Il souriait d’un air moqueur. À côté des gants plastifié s’entassaient des cubes de savon d’Alep. Sans doute, me disais-je, les gens qui jardinent doivent beaucoup se laver les mains après. Le magasin semblait offrir tous les parfums, tous les sels de bain, les pierres ponces et tous les produits hygiéniques inventés depuis le néolithique.

Nous sortîmes en blaguant sur l’animalerie du sous-sol - par culpabilité sans doute. Je me sentai curieusement libre et entouré d’amis.

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