Unions

Publié le 02.07.2015

Cher journal,

La chaleur de ces derniers jours m’ôte toute espèce de volonté. Venu le soir, je me traîne à la terrasse des cafés, où je paresse scandaleusement. Hier, tandis que je cédais à nouveau, je me suis posté à côté d’une dame d’un certain âge, d’un chic un peu clinquant. Ma tête voulait à tout prix être vide, mais je la remplis néanmoins, par un effort de volonté, en imaginant comment aller se dérouler un rendez-vous très important que je devais avoir aujourd’hui. J’étais donc en train de formuler intérieurement le discours que je souhaitais tenir à cette occasion quand la femme à côté de moi, sans vraiment me regarder, me dit d’une voix fluette : “Vous avez bien raison de vous marier, c’est une aventure de premier ordre”. Je ne pus que manifester ma surprise, et m’exclamer : “Mais comment savez-vous que je vais me marier ?”.

Elle ne me répondit pas, mais commença à évoquer ses souvenirs. Je sais bien que je ne suis pas le mieux placé pour blâmer les gens qui racontent leur passé, mais enfin, le caractère soudain de la chose et l’impolitesse que je ressentais devant une telle esquive de ma question me poussèrent à ignorer mon interlocutrice. Je la vis donc faire d’amples gestes tandis qu’elle se lançait dans son récit, mais j’avais déjà repris le cours de mon dialogue imaginaire et intérieur. Alors que j’envisageais quel contre-argument opposer à telle ou telle réplique, mon oreille s’entrouvrit un instant malgré mes efforts pour ne pas me laisser déconcentrer. J’entendis donc ce bref extrait des longs développements de ma voisine : “… mais voilà, lors de mon troisième faux mariage…”.

Je compris tout de suite que je ne parviendrais pas à maintenir ma politique d’isolement, la curiosité ne pouvant que l’emporter. Je connaissais les mariages blancs, forcés, de raison, annulés ou morganatiques mais un faux mariage, était-ce une espèce encore entièrement différente ? Je cessais donc immédiatement de préparer mon rendez-vous du lendemain - lequel fût, du reste, un désastre, mais peu importe - et donnait toute mon attention à la vieille dame. Malheureusement, le temps que je cherche plusieurs définitions possibles à cette mystérieuse formule, pendant lequel je n’avais bien sûr rien écouté de ce qu’elle me continuait à me raconter, ma voisine en était arrivé à ses vrais mariages, lesquels, je l’avoue, m’intéressaient nettement moins. Le premier finissait très mal et d’une façon très triste; le second, dans lequel elle se trouvait toujours, semblait parfait, mais son manque absolu de rebondissement le rendait terriblement ennuyeux pour un auditeur égoïste comme moi qui préfére une bonne histoire au bonheur de son prochain.

Comme elle commençait à me donner des conseils sur la façon de vivre en couple et que ce genre de propos, d’ordinaire, m’irrite plus que tout, je fermais à nouveau mes oreilles, cette fois-ci par automatisme, soucieux d’échapper à une énième variation sur le thème de la cristallisation. En fin de compte, elle s’en alla d’elle-même, après m’avoir donné une bénédiction que je ne lui avais pas demandé. J’ai essayé d’imaginer, ou plutôt d’inventer ses faux mariage, mais à chaque fois, je retombais sur les vrais, ceux dont j’avais écouté le récit. Aurai-je mieux fait de ne rien écouter du tout, ou au contraire, d’avoir été dès le début un auditeur sincère ?

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