Enterrement

Publié le 07.06.2014

Cher journal,

Je me suis essayé au grand banditisme, sans grand succès. Nous avions entrepris de bloquer une route et d’exiger, pour obtenir passage, qu’on nous livrât une certaine somme. Tenant ferme sur nos positions, je me contentais pour ma part d’agiter une espèce de tromblon, qui aurait sans doute été plus redoutable du côté de la crosse que du canon ; mais mon acolyte m’assurait que son éloquence nous permettrait de nous enrichir sans violence. Vint à passer un cortège funéraire, dirigé par un vieillard assez raide, que d’abondants calculs entreprenaient de transformer peu à peu en statue. Derrière lui se tenait une espèce de gros laboureur moustachu. Sans compter la vingtaine de personne qui suivait à petit pas derrière eux, ces deux-là seuls n’auraient fait qu’une bouchée de nous. Le corbillard, tout neuf, ne manquait pas d’allure mais le cercueil à l’intérieur ne payait pas de mine.

Mon complice, d’un air très sûr, leur indiqua que nous tenions cette route et que si ce petit monde entendait naviguer jusqu’au cimetière, il faudrait s’acquitter d’une taxe. Il leur raconta tout un roman, décrivant les illustres personnes que nous avions déjà rançonné. Tandis qu’à l’horizon je voyais déjà arriver d’autres groupes de bandits, il bomba du torse, et annonça fièrement la somme exorbitante dont il m’avait promis un vague dixième. Le vieillard en tête du cortège resta d’abord impassible. Plissant légèrement les yeux, il nous répliqua en deux mots que c’était là plus que ce qu’il pouvait accepter de nous donner. Je remuais légèrement mon arme en tâchant de prendre l’air menaçant. Mon acolyte hésita, tergiversa, et, dans un geste magnanime, assura que nous pouvions à la rigueur, compte tenu de la situation, et bien sûr, des sentiments charitables que nous inspirait tout naturellement l’occasion funéraire que nous venions perturber, admettre de céder le passage pour un quart de la somme.

Le vieillard nous assura que dans ce cas, il prendrait une autre route, puisqu’après tout, son trajet ne supposait par nature aucune urgence. Derrière lui, l’homme à la moustache souriait d’un air embarrassé. Je ne pouvais m’empêcher d’en observer les poings particulièrement vigoureux, les paumes habituées aux échardes, les épaules faites pour transporter les cercueils. Pour nous tirer de ce mauvais pas, mon camarade changea de ton. De combien pouvions nous alors délester tous ces braves gens ? Nous souhaitions vraiment, n’est-ce pas, arriver à un accord à l’amiable, et le mieux serait que nous nous entendions tous entre gens censés, et la chose la plus simple au monde serait de nous donner une estimation de ce qui paraissait à leurs yeux le prix légitime pour emprunter la route que nous leur bloquions d’une façon tout de même des plus civile. Sa voix chevrotait légèrement.

Le vieillard pivota sur lui-même, et, se penchant sur la bière, l’ouvrit sans solennité. Il fouilla dans les poches du cadavre et en retira quelques pièces, qu’il jeta par terre. Sans attendre notre réaction, la troupe se remit en marche, tandis que nous marmonnions quelques condoléances.

Ce fut notre seule pris de la journée. Le soir, mon éloquent me fit valoir que nous ne faisions pas assez peur. Tandis qu’il promettait d’acheter un canif, il me suggéra de me faire quelques cicatrices pour me rendre plus crédible. Lorsqu’il me demanda si je ne pouvais pas, par hasard, me crever un œil pour me donner un air plus féroce, je songeais que cet emploi de ne me convenait probablement pas tout à fait.

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