Divisions

Publié le 01.10.2014

Un récit de vacances

Cher journal,

On peut visiter une ville de nombreuses manières. La plus fréquente reste de sélectionner une série de lieux célèbres et de tracer, en fonction de ses capacités d’optimisation cartographique et géométrique ou de ses préférences en matière de moyens de locomotions, un chemin entre ces différents points. Ainsi, pour la capitale où je me trouvais, le trajet idéal de ce type se devine aisément : le vieux palais du XIVe siècle, le lieu de culte attenant, la fontaine de la place voisine ; puis, l’habituelle promenade dans la vieille ville, jusqu’au musée des Beaux-Arts. Ici, il faut marquer une bifurcation, selon les goûts du visiteur, entre le musée d’art moderne, le parc du jubilée ou les berges. Après quoi, on entre dans le cercle des curiosités, parmi lesquelles il faut généralement choisir : la statue amputée par la guerre, la galerie ayant appartenu au chef de file de tel mouvement iconoclaste et devenue désormais un temple à l’insolence passée, le philharmonique des catacombes, la boutique de guillotine – le quartier chaud.

Les adversaires de cette méthode affirment qu’elle mène à une connaissance superficielle, essentiellement touristique, et recherchent une espèce d’authenticité quotidienne de la ville qu’ils visitent. Selon leur définition de la quotidienneté, cela peut donner des expériences radicalement différentes d’un visiteur à l’autre. Le fait est qu’habiter réellement une ville signifie souvent n’en avoir jamais visité certains des monuments les plus habituels – et, si le snobisme vient s’en mêler, en tirer une fierté dont la légitimité est quelque peu discutable. Mais que devient, dans cette démarche, l’authenticité de l’expérience touristique ?

Mon propre système est de me fier uniquement au hasard, qui, dans toute ville suffisamment intéressante, sera un guide fécond. Je visitais donc la capitale sans route prédéterminée, avec pour seul principe de navigation des tentatives plus ou moins heureuses d’éviter de tourner en rond. J’arrivais finalement au sommet de l’une des deux collines sur laquelle la ville s’est établie. Je m’assis sur un banc, me demandant comment j’allais retrouver un chemin vers la maison de mon hôte sans revenir sur mes pas. Derrière moi, quatre personnes avaient une de ces conversations particulièrement pénible à entendre car tous ceux qui y prennent part se trouvent si entièrement du même avis qu’ils entament une espèce de surenchère dans leurs opinions respectives, cherchant à trouver le point de rupture - ou, peut-être, à échapper à leur propre banalité.

Alors qu’ils commençaient à s’échauffer mutuellement comme ils s’apercevaient qu’ils étaient tous d’accord pour détester l’égoïsme de leurs contemporains, l’un d’entre eux fit soudainement dévier le cours de leur échange en mentionnant « ces assassins qui visent le Président ». Ce propos leur permit enfin de trouver le point sur lequel ils pouvaient se disputer franchement. A peine la phrase prononcée, deux des quatre prirent un air scandalisé, parlèrent de propagande, de poudre aux yeux, de mesures liberticides et de corruption de la classe politique. Les deux autres, visiblement soulagés, purent répondre en mentionnant la nécessité de l’union, la folie qu’il y a à nier un danger évident, la précarité de l’équilibre du monde.

Soudain, la conversation ne portât plus que sur les menaces invisibles. A présent, le groupe se trouvait entièrement divisé. Plus personne n’était d’accord sur le véritable ennemi. L’un assurait qu’une ploutocratie secrète cherchait à s’assurer le contrôle d’un gouvernement mondial ; l’autre que des armées terroristes agissaient dans l’ombre ; un troisième assurait plutôt qu’une secte religieuse d’envergure était la véritable menace ; le dernier se perdait dans des considérations ésotériques qui n’excluaient pas une forme d’occupation paranormale. Ils finirent par échanger des insultes et se séparer. Je partis, et, parce que le complot du hasard devait m’être quant à lui favorable, je retrouvais heureusement la maison du docteur A.. Bien qu’il fît de son mieux pour se montrer le meilleur des hôtes, je ne pus me défaire de l’impression qu’il me cachait quelque chose. Alors que je regagnais ma chambre, incapable à nouveau de trouver le sommeil, je finis par prendre mon bagage et m’enfuir.

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