Héroïsme

Publié le 03.10.2014

Un récit de vacances

Cher journal,

Je passe sur les détails sordides de l’attentat, qui nous occupèrent quelques heures durant. Après avoir convenu que la meilleure solution restait l’explosif, et que le moment opportun serait dans une semaine, la troupe commença à manifester des signes d’impatiences devant l’heure tardive. L’agent X., en bon maître de cérémonie, fît sortir tout le monde. Je me retrouvais donc dans la situation la plus gênante possible, puisqu’il me fallait maintenant lui demander si, par hasard, il accepterait de m’héberger pour la nuit. Attendant d’abord que mes collègues assassins soient tous partis, je lui présentais ma requête de la façon la plus directe et la moins impolie possible.

« Mais très certainement ! J’allais de toute façon vous prier de rester ! ». Agréablement surpris de cette heureuse réaction, je l’en remerciais vivement. Tandis qu’il me faisait goûter l’un des chefs d’œuvre de la boisson nationale, il commença par me féliciter de mon sens de l’initiative et la grande capacité de décision dont j’avais fait montre en rejoignant sa cabale si rapidement. « Pour être tout à fait sincère, je ne sais pas très bien ce que nous aurions fait si vous aviez refusé. Vous imaginez sans mal la situation des plus désagréables à laquelle nous avons tous échappé ! ». Il me fît admirer sa collection d’icônes achetées lors des soldes du marché noir. Finalement, il m’indiqua que si je désirais d’une manière ou d’une autre lui exprimer ma reconnaissance pour son accueil – car, bien entendu, je pouvais rester chez lui aussi longtemps que je le désirais – la façon la plus simple serait d’aller moi-même, en personne, déposer la bombe sous la voiture présidentielle. En effet, personne ne s’étant proposé, la répartition des rôles dans tout cela restait quelque peu floue.

« Vous comprenez, nous savons déjà qui fournira les explosifs, qui les assemblera ; untel, une telle, ce sont leurs spécialités… nous les vexerions si nous ne leur demandions pas… telle autre est l’auteure de la maquette… c’est une contribution non négligeable… pour les autres, je crois qu’ils manquent trop de courage. Moi-même, bien sûr… je l’ai envisagé. Je ne peux pas mentir, l’honneur que cela représente… mais enfin, je me trouve plus ou moins dans la position de chef de ce petit groupe, si je réclamais ce rôle glorieux pour moi on m’accuserait de vouloir tous les lauriers. Et puis, ma carrière… je ne vous cacherai pas que j’occupe, au sein de nos services secrets, une position des plus importantes. Vous imaginez bien l’image terrible que tout cela donnerait de notre administration si on m’arrêtait les mains sur la bombe, penché sous la voiture présidentielle ? Bien sûr, notre plan ne souffre aucun défaut et je ne vois aucune raison d’imaginer que les choses tournent mal, mais enfin peut-on jamais savoir ? Bref, vous me soulageriez d’un grand poids si vous ne refusiez pas cette place prestigieuse. »

Je me maudis intérieurement de n’avoir pas perçu tous les signes avant-coureur de cette situation. Aucune ruse ne pouvait désormais m’extraire de ce traquenard. Le mieux restait donc de donner l’impression que tout cela me convenait parfaitement ; plus encore, je n’aurais osé en rêver. Tandis que des larmes de reconnaissances quittaient les yeux de l’agent X. pour venir humecter ses moustaches, je réfléchissais aux différentes possibilités de quitter le pays au plus vite. Curieusement, la position délicat dans laquelle je me retrouvais ne m’empêcha pas cette fois de dormir, et je me réveillais extrêmement tard le lendemain matin. Ouvrant la porte de la chambre d’ami, je tombais sur un plateau contenant tous les ingrédients d’un petit-déjeuner fastueux et un mot de remerciements de l’agent X. Il m’invitait à profiter de la journée pour aller visiter le musée d’histoire nationale, puisque, pour reprendre ses termes exacts, je devais bientôt y avoir ma propre place.

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