Histoires

Publié le 08.10.2014

Un récit de vacances

Cher journal,

Je suivis le conseil de l’agent X. et décidai de me rendre au musée d’histoire nationale. Celui-ci n’avait pu ouvrir que récemment, après d’innombrables discussions sur tel ou tel épisode peu glorieux du passé. Ces envahisseurs auxquels beaucoup trop de citoyens avaient ouvert leur portes ; ces commerces honteux dans lesquels ils avaient versé ; ces annexions et ces invasions que l’on cherchait à faire oublier aux voisins ; les polices politiques du passé, les crimes ecclésiastiques, les tyrannies brèves mais sanglantes, les périodes de chauvinisme exacerbées, et, bien sûr, ces quelques décennies à chaque siècle où les goûts vestimentaires défient toute tentative de réhabilitation. Après un grand effort cosmétique, l’essentiel de ces points douloureux fût passé sous silence dans l’exposition permanente, solution qui arrangeait tout le monde ; les adversaires du musée, voyant leurs arguments contre une histoire officielle validés, avaient pu se répandre en papiers d’humeurs et livres de dénonciation devant cette conspiration du silence; ses partisans, au contraire, estimaient avoir démontré la possibilité d’un musée d’histoire national dont aucun patriote n’ait à rougir.

Malheureusement, le contenu de ce magnifique bâtiment paraissait extraordinairement ennuyeux pour le visiteur, moi le premier. Je finis par errer dans la section consacrée au passé antique, probablement la moins expurgée. Alors que je me penchais devant un obscur objet de culte, j’entendis un toussotement derrière moi. Je me retournais aussitôt, et, non sans horreur, je découvrais le docteur A. Lui-même avait l’air assez étonné de me voir, mais après quelques secondes d’hébétudes mutuelles, il me demanda pour quelle raison j’avais ainsi disparu. Très inquiet, il avait même déclaré le matin même ma disparition à la police. Il exigeait désormais des explications. Je les inventais au moment de les prononcer.

« Cher Docteur, en plein milieu de la nuit, je fus frappé de l’impolitesse de ma présence chez vous. J’avais profité de votre magnifique appartement, abusé de votre hospitalité et de vos alcools. J’en étais si honteux que je pris la résolution soudaine de ne pas vous importuner une minute de plus. J’avais bien sûr l’intention de vous faire envoyer un petit télégramme, un je ne sais quoi pour vous expliquer ma démarche… Bien sûr, je m’aperçois maintenant de l’absurdité de ma conduite… » A ma grande surprise, malgré le caractère absurde de ces excuses, il m’embraya directement le pas. « N’en dites pas plus ! Vous vous doutez qu’un éminent spécialiste de la para-neurologie comme moi-même est familier des chimies soudaines et mystérieuses dont est capable le cortex pariétal. A vrai dire, voilà une pathologie fascinante et sur laquelle j’aimerais bien me pencher, pour ne rien vous cacher. Je suis certain que vous accepterez un petit examen cérébral rapide, avec un petit protocole de Ganzfield ? En revanche, nous devons à tout prix nous rendre au commissariat pour faire arrêter les recherches, il ne serait pas acceptable de faire perdre son temps à la police. » L’idée d’aller au commissariat, alors même qu’on pouvait légitimement me définir comme un terroriste en activité, ne m’enchantait guère. Mais le Docteur A. en était à me tirer par la manche et le peu d’inventivité dont cette matinée m’avait doté ne me permis pas de trouver un nouveau prétexte pour m’échapper.

Je visitais donc mon deuxième commissariat local, qui ressemblait beaucoup à celui que j’avais eu la chance de pouvoir pénétrer à mon arrivée à la capitale. Je priais mentalement pour ne pas y croiser l’agent X., lequel aurait certainement imaginé que je venais tout raconter aux autorités. L’idée de passer pour un délateur m’insupportait et provoqua en moi une nausée insoutenable. Je parvins cependant à répéter mes explications devant un brigadier qui semblait lutter contre un ennui profond, probablement dues aux hypothèses explicatives du docteur, qui interrompait régulièrement mon récit pour évoquer tel ou tel phénomène invraisemblable et dont le nom paraissait tiré d’une causerie du Scriblerus Club.

Finalement, le brigadier déclara que le dossier était clos et m’implora de bien vouloir ne plus disparaître, ou si la fantaisie m’en prenait vraiment, de bien vouloir attendre d’être sorti du pays. Je lui en fis la promesse. Le docteur A., qui paraissait extatique, me fit passer le reste de la journée à sa clinique. Après plusieurs examens, il m’informa que mon cerveau était exceptionnellement proche de celui d’un australopithèque – chose qui le réjouissait prodigieusement. J’envisageais de lui parler de mon exceptionnelle longévité, mais je préférais lui expliquer que je ne voulais pas lui imposer ma compagnie plus longtemps. Je partis avant qu’il n’ait le temps de protester. Je revins chez l’agent X., qui nous avait préparé des huitres pour dîner.

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