Opinions

Publié le 09.10.2014

Un récit de vacances

Cher journal,

En me réveillant le lendemain, trouvant un nouveau plateau somptueux de l’agent X. devant ma porte, je me fis le bilan de mon voyage. Je n’avais guère profité de mes vacances jusqu’à présent. Mais il me fallait à tout prix trouver le moyen de disparaître aussi vite que possible si je ne voulais pas me retrouver dans l’impossibilité de ne pas assassiner le chef de l’Etat. J’essayais d’échafauder un plan en mâchant les brioches exquises si généreusement mises à ma disposition par mon hôte. La solution la plus simple était de sauter dans le premier avion susceptible de me ramener chez moi. Malheureusement, mon esprit ne voulait pas faire abstraction de deux problèmes élémentaires que cette option posait : le risque que l’agent X. vienne me retrouver, voire qu’il ait pris ses dispositions contre cette éventualité ; le fait que cela revenait à me laver complètement les mains de la conspiration, et refuser de prendre parti. Bref, le choix était lâche. Je suis malheureusement victime d’accès soudain de conscience, et pire encore, il m’arrive de prendre des décisions auxquelles je finis par me tenir. Aussi, en repoussant fermement le reste du petit déjeuner, je me jurais de ne pas quitter le pays sans avoir décidé, une bonne fois pour toute, d’assurer le succès de la conspiration ou d’avoir au contraire vendu la mèche et prévenu le Président.

Tout le monde sait que les assassins politiques ne font généralement pas de longues carrières. Ce simple fait me décidait à tout faire pour changer de camp. Mais de quelle façon, précisément, prévient-on un haut personnage qu’il va être assassiné ? Il paraît évident que le téléphone n’est pas un moyen pratique, ni du reste élégant. Rencontrer le Président en personne paraissait difficile. Et tenter d’avertir les autorités revenait à prendre un risque déraisonnable ; je ne savais rien, après tout, des fonctions des autres conspirateurs. Compter sur une apparition publique du chef de l’Etat, un gala, une soirée à l’opéra, que sais-je, reposait bien trop sur le hasard, il fallait encore qu’il ait une sortie prévu et que j’ai une occasion de lui parler.

Restait, bien sûr, une solution beaucoup plus simple : passer par une grande annonce médiatique. Mais faire cela en personne me paraissait déraisonnable. Le mieux était de prendre contact, de façon anonyme ou sous pseudonyme, avec un de ces grands journaux à l’impeccable réputation dont chaque mot est lu avec vénération ; seul problème, identifier quel journal correspondait à cette définition. Ma connaissance de la culture locale était bien trop limitée pour que je puisse prétendre répondre seul. Je filais dans le premier troquet que je pouvais trouver et, prenant l’air innocent, je demandais à la cantonade quel journal paraissait le plus fiable.

Je n’aurais jamais pu imaginer la scène que ma question provoquât. J’eus à peine fini la tonalité interrogative de ma phrase que mon voisin, un pilier de comptoir, manqua de me gifler. « Aucun, aucun monsieur. Ce sont tous des torchons. » Ce propos sembla, dans un premier temps, s’attirer l’assentiment général dont mon voisin se fit le coryphée. Un autre enchaîna : « Tous les journalistes sont pareils. Des fainéants, des incapables, des vendus ! » Tandis que tout le monde surenchérissait, une autre voix vint préciser l’accusation ; c’étaient des vendus au service du gouvernement. Cette définition plus rigoureuse marqua la fin de l’harmonie ; un camp se fit entendre, qui garantissait que bien au contraire, les journalistes ne servaient que l’opposition. Chacun commença à s’invectiver, en distribuant également les insultes ; d’abord envers la corporation journalistique, ensuite envers le camp adverse. Finalement, le tenancier du bar cassa une bouteille, cria à tue-tête que sa fille était journaliste, et qu’il refusait d’entendre des choses pareilles dans son établissement. Un vieil homme tressaillit à cette annonce et hasarda un propos extrêmement peu galant envers la descendante du barman. Cette phrase, qui fit s’effondrer de rire une moitié de l’assistance et vit l’autre partie secouer le poing, acheva de rendre l’atmosphère intenable. Je m’enfuis tandis que le patron se jetait sur l’impudent, attendant que l’épouse de ce dernier finisse de le gifler à profusion.

Cette première approche n’ayant rien donné, je me résolus à me fier à ma propre impression. J’achetais toutes les feuilles du jour, m’installait au restaurant, et cherchant à rester aussi juste que possible, entamait un tableau comparatif de la presse nationale. Malheureusement, les clients avaient eu globalement raison, et la bêtise accablante de la production journalistique quotidienne me coupa l’appétit. Du reste, le courrier des lecteurs, dans tous ces journaux, se résumait à des brochettes d’insultes dont certaines valaient mieux, à tout prendre, que la majorité des articles. Le serveur, en voyant que je lisais la presse, me renversa la soupe que j’avais commandée sur la figure. Cette réaction suscita la colère d’un homme en costume brun qui jusque-là se contentait de régler sa note. Il vint vers le serveur et, sans plus de manière, lui écrasa le nez du poing. Le maître d’hôtel, excédé, essaya de le frapper en employant à cette fin le lecteur de carte de crédit, mais, plus rapide, l’homme au costume commença à l’étrangler avec sa cravate. Voyant que les autres clients commençaient à se lever pour venir l’arrêter ou à lui jeter du pain dessus, je m’emparais de mon défenseur et prit avec lui, pour la deuxième fois de la journée, le chemin de la fuite. Tandis qu’il éliminait les miettes de son veston, il se présenta comme le rédacteur-en-chef du journal qui avait provoqué la réaction du serveur.

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