Disparition

Publié le 10.11.2014

« Je pourrais partir soudainement, du jour au lendemain, et tu ne me reverrai jamais. » Je ne sais plus pour quelle raison exactement je lui avais donné cet avertissement. Peut-être par désir d’être sincère, mais je crains qu’il s’agissait surtout de lui faire peur ou, plus bêtement encore, de l’impressionner. Six mois après, elle partit un soir vers un dîner mondain, me promettant de rentrer tôt - et ne revint jamais.

Dès le lendemain de sa disparition, je laissais tomber toutes mes affaires en cours et jetais mon agenda par la fenêtre. Je crus d’abord à un kidnapping, à un crime, et je n’osais plus ouvrir un journal, persuadé que j’y trouverais le récit de sa mort. Mais je harcelais tout un réseau de policier, de cardinaux, de détectives. Aucune de ces forces ne parvint à trouver le moindre indice et il ne leur fallut que quelques semaines pour m’abandonner à leur tour. Je me retrouvais seul à la chercher.

Mes associés du moment essayèrent vainement de me faire entendre raison. Trois fois, ils me firent venir dans leur troquet favori, sous les palmiers, prendre un cocktail en leur compagnie, jouer de leurs voix pour m’assurer qu’il fallait que je me ressaisisse. Au bout d’un moment, je décidai de ne plus leur répondre, je me levai et m’en allai. Depuis, je crois qu’ils ont fait fortune.

Enfin débarrassé de ces poids morts et de ce qui pouvait m’attacher un tant soit peu à mon ancienne vie, je consacrais tout mon temps à sa recherche. Une abondance de pistes s’offrait à moi, mais toutes s’avéraient décevantes. Je fouillais des palais de fond en comble, je ratissais des plantations, j’infiltrais des cultes, des clubs, des caravanes et des cabales sans jamais retrouver la moindre trace. A chaque fois, on m’affirmait l’avoir vu çà où là ; on me jurait, « mais oui, bien sûr, il y a une semaine, untel m’en a parlé, il était avec elle. » Lorsque je voyais une plaque commémorative dans la rue, je croyais une seconde que c’était un signe laissé par elle, ou que quelqu’un avait gravé la date de son passage. Je fis respirer son parfum à une armée de chiens qui ne me fit gagner aucune bataille sinon d’être plusieurs jours le corps couvert de puces. Plus les jours passaient, plus j’étais convaincu qu’elle était partie d’elle-même et qu’elle me faisait payer mes paroles. J’élargissais le spectre de ma longue battue, achetant des cartes toujours plus grandes ; je ne savais pas si elle avait pris refuge dans un désert ou si au contraire elle se cachait au milieu de la foule. Après avoir fouillé au-dessus des anciens lits et des bras morts ou parmi les hydrocéphales des forains, je dus reconnaître qu’elle s’était évaporée.

Alors à mon tour, je changeai de nom, je quittai ce pays et je me jurai de n’y plus jamais remettre les pieds et même de n’y plus penser, à tel point que j’arrache les pages des atlas où sa forme maudite pourrait revenir me hanter.

Entrée suivante Entrée précédente