Incendies

Publié le 15.01.2015

Cher journal,

Les jours refusent de quitter le froid, alors j’allume des incendies, partout où je peux sur mon passage, chez moi, dans les rues mal éclairées, au restaurant, en traversant les cimetières, en prenant le train, le métro, l’avion ou le paquebot. A chacun de mes pas, les allumettes débordent de mes poches; comme les gastéropodes qui rendent la filature si facile par leur suintement arc-en-ciel, on peut me retrouver en suivant une longue trace de combustible; et j’emporte toujours avec moi des sacs remplis de charbon et de papier journal.

Que la chose soit claire entre nous deux, je n’ai jamais eu l’âme d’un pyromane, seulement la peau d’un frileux. A tout le moins cette défense, si ma pratique incandescente est jugée criminelle, devrait m’obtenir un peu d’allègement de peine. J’ajoute qu’à chaque étincelle que je sème, je m’empresse d’avoir une pensée émue pour les pompiers. Il doit falloir bien du courage pour éteindre ou contenir un feu, surtout lorsqu’il a dévoré un bâtiment tout entier et que des fenêtres débordent ces grosses langues rougeoyantes qui ressemblent à des décorations sur un gâteau pour enfant. Mais chaque feu me sauve, et je regarde longuement son numéro de charmeur de serpent qui fait onduler l’air autour de lui, libéré pour un bref instant de la peur de geler sur place, vivant à peine entre deux foyers.

Le feu reste pourtant une solution très imparfaite, tant par son manque de chaleur que par son insuffisance caractérisée, même en matière de destruction. La voracité qu’on lui prête si souvent me paraît très exagérée; après son passage souvent on constate qu’il a épargné même les objets les plus fragiles, se contentant de les frôler par de longues trainées de suie.

Plus mystérieux encore, un brasier, même doté de la meilleure volonté du monde, ne sait pas détruire sa propre origine, et n’importe quel généralogiste un petit peu endurci semble pouvoir traquer les conditions de sa naissance. Le mieux serait donc de trouver une explosion discrète, une simple étincelle, capable de la même énergie mais sans payer le prix de la discrétion. Mais dès qu’un tel espoir me vient, j’y renonce tout aussitôt. Seules les forces du froid sont réellement invisibles.

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