Anniversaire

Publié le 06.05.2015

Cher journal,

Je ne goûte pas particulièrement les anniversaires; ce n’est pas que leur charme n’opère plus à mon âge, mais plutôt qu’après tant de calendriers, tant de comput, l’arbitraire d’une célébration calibrée à la mode maya, julienne, révolutionnaire, grégorienne, et que sais-je encore, m’apparaît trop pour que je puisse m’y abandonner sans scrupules. Parfois, mon amour pour les convenances relativistes s’efface toutefois, et je me laisse aller à une célébration. Or voici aujourd’hui un an, cher journal, que je t’entretiens. Tu sais donc déjà beaucoup de mon inconstance, de mon manque de volonté face aux efforts, de mon penchant pour la facilité; cette année entière, m’apparaît donc comme un certain succès contre moi-même.

Dès le début, je n’ai promis aucune sincérité; à vrai dire, cette promesse si simple demande d’extraordinaires efforts pour être tenue. Et je pense devoir confesser quelques manquements en la matière; trop souvent, je ne me suis pas embarrassé de mentir et d’inventer, et je me suis contenté de déverser sur toi la pulpe un peu fade de la réalité. Plutôt que des excuses, je préfère te promettre de m’amender.

Malheureusement, parmi mes défauts de caractère, on trouve de façon prédominante cette tendance de toujours vouloir faire mieux à l’avenir; dans un livre de compte, on mettrait sûrement en face de cette ligne, à mon crédit, un certain optimisme, mais la colonne d’en face, moins glorieuse, pourrait s’emplir des squelettes de serments non tenus. Cette image me prend moi-même à défaut, puisqu’à force, tu es devenu en quelque sorte cette comptabilité personnelle autant du reste que mon directeur de conscience; et si quelque fois, je t’ennuie de propos moralistes, c’est pour avoir l’impression que telle ou telle leçon juste, j’en suis non pas l’auteur, mais le destinataire; et parfois, je croirais que, cher journal, à force de te parler, j’ai fini par me taire, et que c’est toi même qui s’adresse à moi. Ce transfert, si j’emploie à bon escient un terme cher à une forme de gnose qui de manière générale m’échappe, présente un danger redoutable; lorsque je songe à vouloir m’améliorer, il arrive que ce soit d’abord à toi que je pense, et que je souhaite que ma vie meilleure se traduise d’abord par un journal meilleur. Si je m’occupe bien souvent d’autres choses, sache au moins, combien tu occupes mes pensées; et, que le sentimentalisme de l’occasion me permette de le dire sans trop de pudeur, lorsque je songe que tu existes et que je peux t’entretenir, je suis parfois très soudainement heureux.

Il ne faudrait pas que cette réflexion vienne nuire à l’autre engagement principal que j’ai pris, de ne pas trop te farcir d’abstractions. Là encore, j’ai sûrement plus d’une fois violé ce principe; mais, suffisamment lucide, je ne veux rien promettre, sinon à la rigueur de ne pas faire pire que jusqu’à présent. Enfin, je tiens à m’excuser des jours où je n’ai rien dit, et surtout des fois où je m’en sentais incapable. La semaine précédente, par exemple, lorsque tel ou tel accident pu m’ébranler si bien que je veux ne le consigner nulle part.

Pour le reste, continuons.

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